Guiaud et Versailles
Si Jacques Guiaud a privilégié toute sa vie la peinture de paysage, il n’en a pas moins exécuté à trois reprises des peintures que l’on peut qualifier de « peinture d’histoire ». Examinons en détail la commande des médaillons de Versailles par Louis-Philippe.
Guiaud, peintre d’histoire
Peindre l’histoire peut se traduire de trois manières :
- la grande peinture historique (qui sera seule évoquée dans cette partie),
- la « peinture d’actualité »’ qui décrit un évènement public fédérateur de foules,
- enfin ce que nous appellerons dans l’œuvre de Jacques Guiaud le « reportage de guerre ».
La peinture d’histoire est au cours des trois ou quatre premières décennies du XIXème siècle un genre tout à fait particulier qui domine les ateliers à l’École des Beaux-Arts ainsi que les Salons. Elle produit, en grand format, des scènes de la mythologie et de l’histoire antique, de la Bible, des grands évènements de l’histoire nationale.
Les travaux confiés à Jacques Guiaud ont contribué à ce genre d’une certaine manière par l’exécution des « médaillons » de la galerie Napoléon Ier à Versailles pour le Musée de l’Histoire de France créé par Louis-Philippe.
Le Musée de l’Histoire de France, dédié « à toutes les gloires de la France »
Dans sa conception, le musée est paradoxal. Il consacre le culte du héros entraîneur d’hommes, preux chevalier, prince du sang ou général sorti du rang, selon la conception de « l’Histoire-bataille », mais laisse dans l’obscurité le peuple que la révolution – les révolutions – a mis en avant, alors même que son programme s’était voulu rassembleur de la nation.
Mais le musée a été aussi pour Louis-Philippe le moyen d’aider les artistes. Les artistes, les peintres en premier lieu, les sculpteurs, voire les artisans-décorateurs, sont de ce fait devenus les meilleurs soutiens du régime.
Une génération de peintres d’histoire
Le milieu des peintres d’histoire est un cénacle étroit. La plupart d’entre eux sont passés par l’atelier de Pierre Narcisse Guérin (1774-1833). Ce maître a joué un rôle clé dans la formation des peintres de la génération née entre 1780 et 1800.
Les jeunes peintres, comme Jacques Guiaud, qui entament leur carrière vers 1830, sont passés dans les ateliers des anciens de chez Guérin. Pour eux, les maîtres furent Léon Cogniet ou Jean Alaux. Ces deux personnages sont en effet la clé pour comprendre l’engagement de Jacques Guiaud à Versailles.
La commande de Versailles
La commande obéit à un programme « pédagogique » de réconciliation nationale. Guiaud reçoit la tâche de représenter certaines des batailles de la première campagne d’Italie de Bonaparte de 1796 sur des médaillons. Techniquement, il s’agit de tableaux encadrés et fixés aux murs. Ils ornent les dessus de portes ou les retours des murs entre les fenêtres de la galerie Napoléon Ier, dans l’aile du midi, au rez-de-chaussée du château.
Sept médaillons sur un total de soixante-sept lui sont confiés. Il dispose, pour guider son travail, de dessins et d’aquarelles exécutés pendant la campagne d’Italie par les peintres attachés aux armées, dont la fonction était précisément de restituer la topographie et le paysage des champs de bataille, et accessoirement les combats. Le plus fameux de ces aquarellistes est Giuseppe Pietro Bagetti (1764-1831).
Dès l’origine, Louis-Philippe tient à ce que les tableaux de la galerie Napoléon 1er soient encadrés et fixés aux murs, entourés d’un décor peint. Il veut aussi que les murs disponibles soient peints de couleurs soigneusement harmonisées selon les salles, de même que les couleurs des portes, des cadres, des socles supportant les bustes des maréchaux, des généraux, etc.
Le 10 juin 1837, le musée est inauguré. Pas moins de 6 000 peintures y figurent et quelque 3 000 sculptures.
Les scènes peintes sur les médaillons par Guiaud et ses confrères sont superposées deux par deux. De ce fait, ce sont des images de relativement petite dimension, très richement encadrées d’ornements peints sur la même toile d’une seule pièce.
Consulter ici les médaillons attribués à Jacques Guiaud.
Guiaud fait ici la démonstration qu’il appartient bien à la génération des peintres qui veulent entrer dans l’histoire par la porte officielle en utilisant une grammaire de signes, tel le bras tendu pour souligner un discours, ou telle la position de militaires à cheval faisant virevolter leur monture, etc.
Des médaillons à la gloire de Napoléon
Nous entrons en effet dans la représentation politique de l’histoire conçue comme une succession de victoires. Les médaillons de Guiaud sont « propres’’ : pas de morts, pas de sang. La guerre est belle, c’est une promenade, les armées sont à l’exercice. L’histoire qu’il raconte est dépouillée de contradictions, d’antagonismes. Tout est lisse, le fil de l’histoire est continu, la Révolution est récupérée, Napoléon également, tous deux sont porteurs des valeurs « éternelles » de la France que le régime promeut, avec la pensée que le peuple entraîné par ses héros, ses chefs, va de l’avant.
Mais ils sont nombreux ceux qui se mettent sur les rangs pour satisfaire le goût du roi pour le ‘’beau geste’’ ; or, Guiaud peint sans grandiloquence, sans référence à l’antique, sans oripeaux théâtraux, tout le contraire des grands tableaux de la Galerie des Batailles. De ce point de vue, nous pouvons nous demander si ce n’est pas cette absence de dramatisation qui coûtera à Guiaud la désaffection relative du souverain car il ne recevra jamais de commande pour de grands formats.
Extrait de l’article de Mireille Lacave-Allemand, Monographie de Jacques Guiaud (p. 67 à p. 83)